Avant sa conférence du 19 février 2025 ¾±²Ô³Ù¾±³Ù³Ü±ôé±ð « Mon expérience de l’accompagnement, de la mort et du deuil : 29 années de services psychologiques au cÅ“ur de l’équipe du CUSM (1986-2015) », qui s'inscrit dans le cadre des Grandes conférences nationales en soins palliatifs de ²»Á¼Ñо¿Ëù, Johanne de Montigny a partagé ses réflexions avec la directrice du programme et médecin en soins palliatifs, la Dre Stéfanie Gingras.Ìý
Dre ³§³Ùéfanie Gingras (SG) : â¶Ä¯Comment êtes-vous d’abord devenue intéressée par le domaine des soins palliatifs ?Ìý
Johanne de Montigny (JdM) : â¶Ä¯°ä’e²õ³Ù une expérience très profonde et soudaine où j’ai failli mourir qui m’a guidée dans ce choix. J’ai survécu à un écrasement d’avion, dans lequel 17 personnes (sur 24) sont mortes. Après cet événement, je me suis demandé ce que j’aillais faire de ma vie. Pour moi, cela signifiait choisir un ³¾Ã©³Ù¾±±ð°ù qui aurait du sens. Après un retour aux études en psychologie, j’ai choisi d’être psychologue dédiée aux soins palliatifs. Après avoir é³Ùé confrontée à la mort soudaine, j’ai cherché à comprendre comment on réagissait lorsqu’on apprenait qu’on allait mourir, qu’on avait encore du temps devant soi, et comment le vivre. Pour moi, c’était faire quelque chose de positif, ce qui donnait beaucoup de sens à ce qui m’était arrivé.Ìý
ÌýAvant de devenir psychologue à l'Hôpital Royal Victoria, je me suis longuement préparée à ce travail »å’a³¦³¦´Ç³¾±è²¹²µ²Ôement (1986-1987) pour être certaine de ne pas confondre mon histoire face à la mort avec celle de ±ô’a³Ü³Ù°ù±ð. °ä’e²õ³Ù dans ce contexte que j’ai rencontré le Dr Balfour Mount pour lui proposer d’instaurer des services psychologiques en soins palliatifs, inexistants lors de mon engagement officiel en 1988. Nous avons convenu de mettre en place un stage pilote pour identifier quels types de services seraient les plus bénéfiques pour trois groupes cibles : les patients, les familles, et le personnel soignant.Ìý
À la fin du stage, convaincus de leurs bénéfices, nous avons concrètement et cliniquement ¾±²Ô¾±³Ù¾±Ã© des services »å’a³¦³¦´Ç³¾±è²¹²µ²Ôement pour les patients et les proches, et de soutien pour les soignants.ÌýÌý
Nous avons veillé à ce que les soins comportent les valeurs fondamentales de l’approche palliative, valeurs que j’ai épousées comme psychologue humaniste et que je souhaitais offrir à ceux et à celles qui souffrent.Ìý Symboliquement, j’aspirais à redonner du sens à la mort des personnes qui étaient avec moi dans l’avion. J’ai beaucoup pensé, et je pense encore aujourd’hui, à leurs familles. Je me demandais alors : comment fait-on pour traverser un deuil soudain? °ä’e²õ³Ù ainsi que la question du deuil est née.ÌýÌý
SG: â¶Ä¯Merci. â¶Ä¯°ä’e²õ³Ù très, très intéressant. Et quand vous parlez des trois groupes, pouvez-vous élaborer sur le sujet ?Ìý
JdM :Ìý Auprès des patients, j’ai pu objectiver l’impact des valeurs fondamentales entourant la psychologie du deuil et du mourir : Accueil, présence, écoute, bienveillance (faire attention à l’autre). Cela peut paraître simple, mais la puissance du savoir-être favorise l’ouverture à la différence, à la perception de l’autre, aux spécificités de son récit.ÌýÌý
Au début des années ‘90, les patients étaient avec nous pour un séjour d’environ trois mois, un espace-temps qui facilitait mon travail »å’a³¦³¦´Ç³¾±è²¹²µ²Ôement des malades et de soutien aux familles.Ìý La durée des séjours est passée de trois mois à 7 à 14 jours. Mon grand défi auprès des patients était de savoir comment offrir une qualité professionnelle d’écoute et d’intervention qui fasse la différence dans un laps de temps aussi court. Dans ces moments, je me suis rappelée qu’avant de mourir — car je croyais que j’allais mourir â¶Ä”, de la jeune agente de bord qui en l’espace d’une minute avant ±ô’éc°ù²¹²õ±ð³¾±ð²Ô³Ù, avait réussi à nous aider à contenir le choc et à nous transmettre un certain espoir. Elle nous a dit : « Quoi qu’il arrive, nous sommes ensemble et nous allons vivre cela ensemble. » Cette minute relationnelle a fait la différence. Cela nous a permis, je crois, de survivre psychiquement avant de mourir physiquement. Elle fut ma première soignante tout juste avant sa mort.Ìý
°ä’e²õ³Ù avec cette empreinte que j’ai continué à accompagner les patients, en me rappelant que lorsque le corps se dégrade, l’expansion de la psyché permet une qualité de rencontre jusque-là inespérée. Le psychologue tient compte de la partie intacte du malade en fin de vie, ³¦â€™e²õ³Ù-à -»å¾±°ù±ð de la partie en elle ou en lui qui n’a pas é³Ùé brisée par le cancer, le noyau dur au centre de l’être.Ìý
Quant à la famille, ce qui a é³Ùé pour moi le plus percutant, c’est de constater que la fin de vie est d’u²Ô±ð intimité à nulle autre pareille. En soins palliatifs, on est ailleurs. On est dans une rencontre d’âme à âme, si l’on peut dire ainsi. Et il y a quelque chose »å’i²Ô³Ù¾±³¾¾±»å²¹²Ô³Ù à être sans mots, à se retrouver face à son impuissance ³¾Ãª³¾±ð en tant que soignant, et à accompagner des familles qui, elles aussi, cherchent les bons mots parce qu’ils sont les derniers.Ìý
Pour dépasser le sentiment d’impuissance devant la mort qui taraude et à la détresse des familles, j’ai compris qu’u²Ô±ð parole n’est jamais préfabriquée, ³¦â€™e²õ³Ù-à -»å¾±°ù±ð que ±ô’i²Ô³Ù±ð°ù±¹±ð²Ô³Ù¾±´Ç²Ô ´Ú´Ç°ù³¾³Ü±ôé±ð la veille ne sera pas nécessairement utile pour une autre personne. Une parole ne s’invente pas, elle se crée sur le champ du fait de la qualité de contact. Ce que j’ai appris, c’est à faire confiance à son bagage : les notions acquises, les collègues qui nous aident à réfléchir, nos expériences de vie...Ìý
L’intégration de mon vécu m’a ouvert la voie. Il ²õ’a²µ¾±t de bien l’utiliser. Et si l’on revient à nos valeurs de base, qui sont des outils précieux dans notre ³¾Ã©³Ù¾±±ð°ù, cela signifie être présent à l’autre, être pleinement avec lui ou avec elle. En psychologie, on se réfère à cette image ³¾Ã©³Ù²¹±è³ó´Ç°ù¾±±ç³Ü±ð : « J’apprends à disparaître doucement pour que l’autre apparaisse pleinement ». Cette délicatesse de la rencontre permet qu’un lien puisse se tisser ³¾Ãª³¾±ð dans un court laps de temps.Ìý
À cause de ce qui m’est arrivé en 1 minute 48, où j’ai connu le pire [dans l'accident d'avion], pensant que cela avait duré 2 heures, je sais à quel point on peut accomplir en tant que soignant, ³¾Ãª³¾±ð en 1 minute. Nous pouvons faire la différence avec un regard bienveillant, une écoute attentive et une présence pure. Ce que Balfour Mount appelait si justement une présence radicale. Le Dr Mount a é³Ùé mon mentor et il m’a beaucoup inspirée avec ce concept.Ìý
Pour moi, ces mots signifient ±ô’ém±ð°ù²µ±ð²Ô³¦±ð d’u²Ô±ð parole qui monte du plus profond et d’u²Ô±ð proximité juste dans les contextes de fin de vie. Il faut jauger l’état psychologique de la personne en présence, la respecter, s’adapter à son besoin, et puiser dans sa propre bonté pour adoucir la souffrance. Ainsi, la meilleure intervention peut être simplement de respirer ensemble avec la patiente en fermant les yeux, jusqu’à ce qu’elle s’endorme. Ne pas fuir fait partie de ±ô’i²Ô³Ù±ð°ù±¹±ð²Ô³Ù¾±´Ç²Ô. Dans d’autres cas, il ²õ’a²µ¾±ra de bâtir un pont et »å’e²Ô»å´Ç²õ²õ±ð°ù le rôle de messager entre une mère et une fille qui n’ont jamais su se dire « je t’aime ». Intervention : Qu’aimeriez-vous lui dire que vous ne lui ayez jamais dit?Ìý
En ce qui concerne les soignants, il ne ²õ’a²µ¾±ssait pas d’offrir des services psychologiques formels mais plutôt des rencontres où, en tant que psychologue, je pouvais bien saisir par leurs ³Ùé³¾´Ç¾±²µ²Ô²¹²µ±ð²õ les stress, les fatigues, les enjeux, leurs appréhensions.Ìý Mon objectif étant de libérer ce qui avait pu être difficile à vivre, afin d'arriver « tout frais tout net » devant un patient qui a grand besoin d’u²Ô±ð personne stable, empathique et sécurisante. D’où l’importance de la tenue de °ùé³Ü²Ô¾±´Ç²Ôs de rétroaction et de partage avec l’équipe de soignants lors d’un décès difficile ou particulièrement touchant, afin d’aider le groupe à libérer les tensions avant de retourner au chevet des malades.Ìý
SG:  Dans votre travail, vous êtes totalement impliquée à prendre soin et à accompagner des patients, des endeuillés, et parfois des soignants. Comment prenez-vous soin de vous-³¾Ãª³¾±ð?ÌýÌý
JdM: â¶Ä¯J’ai toujours su que le choix de ma profession était juste, qu’elle donnait du sens à ma vie personnelle et professionnelle. Longtemps, je me suis ressourcée au contact ³¾Ãª³¾±ð de mes patients, dans la profondeur de leurs récits. Souvent, ils avaient traversé le pire avec une °ùé²õ¾±±ô¾±±ð²Ô³¦±ð remarquable. ´³â€™Ã©t²¹¾±²õ remplie de gratitude pour ce qu’ils continuaient de m’apprendre. Ils ont renforcé mon goût de vivre. J’avais l’impression d’être un océan profond, où tous mes patients pouvaient déverser leurs larmes.Ìý
On ne sort jamais tout à fait intact du ³¾Ã©³Ù¾±±ð°ù de soignant. Il y a un prix à payer quand tout s’arrête.Ìý Pendant que je me préparais à la retraite, je me suis sentie écorchée, ¾±³¾³¾±ð°ù²µÃ©±ð sous un cumul de larmes. Alors j’ai beaucoup ±è±ô±ð³Ü°ùé, pendant des mois après avoir quitté mon travail, mes larmes confondues avec les leurs. Avec le temps, ça a passé. J’ai intériorisé une phrase que j’avais lu±ð : « I±ô ²Ô’y a rien à craindre, jamais l’océan ne se noie ». Cette citation de Christiane Singer m’a beaucoup aidée. Aussi, j’ai réussi à ne pas lutter contre les sentiments contradictoires qui parfois cohabitent en soi; autrement dit, ma sensibilité, ma vulnérabilité côtoient ma force.Ìý
SG: â¶Ä¯Ou aimeriez-vous voir le domaine des soins palliatifs dans les prochaines décennies?Ìý
JdM: â¶Ä¯J’aimerais que les soins palliatifs soient promus et accessibles à d’autres milieux de santé (nouvelles maisons de soins palliatifs, résidences pour aîné/e/s, ainsi qu’à domicile). Que l’approche des soins palliatifs (accompagnement des patients et des familles) existe non seulement durant le processus de fin de vie, mais ³Ü±ô³Ùé°ù¾±±ð³Ü°ù±ð³¾±ð²Ô³Ù auprès des familles endeuillées. Même dans les contextes d’aide médicale à mourir, les proches nécessitent un soutien au deuil. Bref, en général, il ²õ’a²µ¾±rait de recréer une « maison relationnelle » mobile, s’assurer de préserver la qualité d’u²Ô±ð approche humaine comme antidote à la souffrance existentielle.Ìý
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